Les Noëls d'Adrien Guay


Enregistrement d'Adrien Guay réalisé à l'automne 1972.

Transcription

Adrien et Gérad Guay
Mon cher Pierre, les Noëls qu'on passait autrefois, ça ne ressemblait pas du tout aux Noëls d'aujourd'hui. D'abord, il faut que je te dise que maman à ce moment-là commençait à se préparer bien avant. Et nous autres aussi, on était obligé de se préparer. Qu'est-ce que tu veux, d'abord un mois avant, nos parents nous disaient: «Si vous êtes pas sages, vous aurez pas vos jouets. Ou bien donc, vous aurez des saloperies dans vos bas de Noël Noël». Parce qu'on étendait nos bas de Noël dans ce temps-là, nous autres, après l'escalier et c'est là qu'on mettait tous nos jouets. Nos parents nous mettaient tous nos jouets là- dedans.

Ensuite, en autant que je me rappelle, moi, avant la messe de minuit, autrefois, on allait chez mon oncle Alfred Tremblay qui était marié à une sœur à papa qui s'appelait Louise Guay. D'abord nos parents nous habillaient quasiment comme une fête du dimanche, si tu veux, avec des culottes courtes puis des grands bas.


Puis on s'en allait là. Puis eux autres là, c'était une veillée quasiment familiale, si tu veux, à ce moment-là. Et ensuite de ça, bien là ils jouaient de la musique durant la veillée, on s'amusait.

Puis à minuit moins quart là, on partait, puis on s'en allait à la messe de minuit. Papa (Victor Guay) était maître chantre lui. Il nous chantait le minuit chrétien qui était de toute beauté accompagné à l'orgue par Madame Wilbrod Larouche qu'on appelait nous autres communément «Madame Berthe».


Après la messe de minuit, on s'en revenait, il n'était pas question de réveillon. C'était en berlot ça, c'est-à-dire avec un traîneau puis un cheval. Puis les enfants se cachaient en dessous de la peau de carriole, puis les plus vieux eux autres, s'assoyaient dans le traîneau.

Alors on arrivait, on avait rien qu'à se coucher nous autres. On se déshabillait, on se couchait dans nos lits qui étaient faits dans ce temps-là, c'était pas les lits d'aujourd'hui si tu veux, c'était un paillasson qu'on appelait. Puis avec de la paille fraîche qu'on avait été chercher avant Noël pour renouveler nos lits puis être comme il faut.


Mais le matin de bonne heure, on était de bonne heure. Puis là on allait dans nos bas voir ce qu'on avait. Puis à ce moment-là, mon Dieu, on avait quoi? On avait une pomme, une orange, des petits seaux de bonbons puis quelques chocolats en dés et ensuite le jouet, qui pouvait être une petite machine environ de cinq à six pouces de long.


Tout était compris dans le bas de Noël. Tu sais qu'on avait hâte puis on s'amusait avec ça. C'était nos Noëls joyeux, nous autres, si tu veux.

Pas de poupée pour Noël

Émilienne Guay, fille de Victor Guay et sœur de Marcel Guay, raconte un souvenir de Noël.
 
Une anecdote me revient chaque Noël. Dans la grande pièce qui nous servait à la fois de séjour et de cuisine d'hiver, il y avait un petit dénivellement de plancher. En marchant, il m'arrivait souvent d'y accrocher le bout de soulier et de trébucher. Mes poupées, avec leur tête de porcelaine, subissaient une fracture du crâne. C'était un tableau très pénible, car les yeux chutaient lamentablement au fond de cette tête vide. La poupée rejoignait alors le cheval boiteux ou la brouette à la roue brisée ou encore le singe sans corde.

Voyez-vous, chez nous le Père Noël avait l'esprit très pratique et Marcel et moi recevions les jouets brisés qui ne trouvaient pas acheteur au magasin de notre père. Notre père (Victor Guay) partait assez tard l'automne, généralement vers la fin de novembre, pour régler les derniers préparatifs d'hiver. Comme à l'accoutumée, j'avais choisi mon cadeau pour Noël: une poupée qui m'attirait particulièrement.

J'attendais fébrilement le retour de papa qui devait arriver aux alentours du souper. Il faisait noir et le pain que maman ne manquait jamais de cuisinier à papa pour son retour était là, reposant sur la table. Il embaumait la maison et l'honneur de déguster la première miche revenait toujours à papa. Mais ce soir-là, son absence se prolongeait. La maisonnée se coucha. Maman ne dormait pas, car j'entendais tisonner le poêle. Je descendis sur la pointe des pieds, mine de boire une gorgée d'eau. J'associais mon inquiétude à celle de ma mère, mais le sommeil me gagna et ce n'est qu'au matin que papa rentra.

Il était épuisé et pour la première fois, je le voyais nerveux. Il regardait maman, l'enserrait de son bras droit tout en gagnant son fauteuil. Sortie du lit en toute hâte, je m'empressai de lui retirer ses bottines. Il avait vécu une nuit d'enfer.

Le train rapide qu'il surnommait « L'Océan Limité » avait déraillé. Dans la locomotive, le chauffeur et le conducteur avaient trouvé la mort tandis que derrière, les wagons avaient percuté sur ceux de devant tuant des passagers. Papa dormait quand le choc l'avait brutalement tiré de son sommeil. Quelqu'un implorait de l'aide. Un médecin recherchait de l'alcool afin amputer d'urgence le bras du mécanicien. Une petite fille pleurait doucement près du corps de sa maman décédée. Tout en sortant une bouteille de boisson pour répondre à la demande du médecin, papa avait donné ma poupée à la fillette pour qu'elle détourne son attention du cadavre de sa mère.

Deux religieuses faisaient également partie du voyage et elles aidaient du mieux qu'elles pouvaient, mais leur jupe traînait dans la figure des blessés allongés près de la voie ferrée. Papa, se tournant vers la plus jeune lui dit: «Ta maudite grande jupe, tu pourrais l'enlever!» Ce qui fut fait tout de suite. Les sœurs portaient alors de drôles de pantalons. Une des religieuses, à force de circuler parmi les blessés, se retrouva toute tachée de sang et fort gênée de la situation. Papa avait donc aussi donné sa veste de laine donc il ne se séparait guère.

Noël approchait et je songeais égoïstement à mon cadeau. Pas besoin de vous dire que je savais très bien qu'elle ne serait pas remplacée cette poupée. Jamais je n'eus de nouvelles de celle qui l'avait reçue. Je lui garde encore un peu de rancœur parce que la charité était, passant par les mains de papa, partie de mon cœur d'enfant qui ne comprenait pas qu'on put faire passer une étrangère avant les siens.

Note : l’Océan Limité est une ligne du chemin de fer intercolonial entre Montréal et Halifax, reprise par le Canadien National en 1918. Cette ligne est actuellement le plus vieux train de passagers nommé en Amérique du Nord.

Source: Chemin de fer Intercolonial, encyclopédie canadienne