Au magasin général Victor Guay & Fils

En 1926, mon grand-père Victor Guay fait construire le magasin sur le côté de sa maison (maintenant au 121, rue Principale) pour libérer la maison et continuer à opérer le commerce de son défunt beau-père, toujours sous le nom d’Elzéard Tremblay & Fils. Son fils Gérard doit charroyer cent voyages de sable de grève à raison de quatre voyages par jour avec le cheval. On ajoute 25 voyages de pierres des champs pour placer dans les fondations afin de ménager sur le ciment. L’édifice est raccordé au service d’électricité du moulin de Lionel Lapointe dont la dynamo est mise en marche le soir une fois terminée la journée de sciage de bois. On installe une ampoule dans le magasin et une autre dans la maison. 

En 1949, mon père Marcel reprend le magasin et opère sous le nom de Victor Guay & Fils. Sauf en hiver, l’essence est maintenant livrée par camion au lieu d’être transportée dans des barils par bateau. Le nombre d'abonnés au téléphone a augmenté dans le village et on change le numéro 8 pour le 34.

En 1958, mon père ajoute des vitrines à l’avant du magasin et un solarium devant la maison. Le backstore* est déplacé dans l’ancienne cuisine d’été de la maison. Auparavant, il occupait le tiers arrière du magasin. 

(Image 1958 reproduite avec la permission de la Société historique du Saguenay)

Photo: Pierre Rambaud

Vers la fin des années 60, le grand comptoir devant les étagères disparaît et l’intérieur est aménagé en trois allées de marchandises, deux d’épicerie et une de quincaillerie. Chaque année, plus de 1000 sacs de moulée destinés aux cultivateurs de la paroisse s'entassent dans le long entrepôt.

La porte entre la maison et le magasin est déplacée vers l'avant et des miroirs convexes permettent à mon père de surveiller sur l'heure du midi quand les employés sont absents tout en mangeant à sa table. Si quelqu'un se présente, il le voit dans le miroir et ma mère ou l'un des enfants est dépêché en attendant que mon père finisse d'avaler quelques bouchées avant d'aller répondre.

*backstore : anglicisme désignant la réserve de marchandises





 

Carnavals d'hiver aux Bergeronnes

Jusqu'aux années 1970, les carnavals des Bergeronnes ont pour mission principale d'amasser des fonds pour les loisirs. En voici quelques traces trouvées dans les archives dont deux films tournés par mon père, Marcel Guay.

Hiver 1958

Le défilé comprend  un traîneau tiré par un poney; le bonhomme carnaval se renverse à trois reprises. Deux chars allégorique suivent, celui de l'académie Bon-Désir et celui de l'école d'Arts et de Métiers Lucille Larouche est couronnée reine.


Hiver 1960, couronnement d'Adeline 1ère (à regarder en haute définition sur YouTube)

Jean Brisson est l'invité pour commenter le défilé. Une partie de ballon-balai met aux prises le village contre la paroisse.

Hiver 1962, couronnement de Berthe 1ère

Hiver 1963

Marie-Laure Lapointe devient la reine après avoir vendu le plus de coupe-papier. Des billes cachées à l'intérieur ont permis de gagner des prix.

Hiver 1964

Le comité des étudiants et le comité des Bergeronnes se font la lutte. Marie-Anne Hervieux, du comité des étudiants, remporte la couronne. Plus de 150 personnes participent au banquet de clôture.

Hiver 1966

Les villageois sont invités à participer à un concours de sculpture sur glace. Quelques 13 200 $ seront amassées pendant le festival. Ils serviront à compléter les travaux à l'aréna qui vient tout juste d'être inauguré.


Hiver 1967

L'organisation des terrains de jeu mène le festival. Sylvie Hervieux est élue reine. Près de 14000$ ont été amassé pour compléter la salle de quilles et pour les terrains de jeu.

Hiver 1972

Carol Michaud, 1ère est reine du festival. La garde paroissiale fait fièrement office du duché. Les 12415 $ recueillis sont versés au centre communautaire (église).

Hiver 1973

Une cinquantaine de carnavaleux de Chicoutimi, vêtus de costume d'époque (1873) viennent visiter les Bergeronnais.




Le curé Thibeault perd sa servante


d’après des extraits de Madame Béa : sociobiographie, par Claire Maltais

En 1939, le curé Thibeault invite sa cousine Béatrice Thibeault à son presbytère. Si elle s’y plait, elle aurait l’opportunité de devenir sa servante attitrée.

Les samedis aux Bergeronnes, c’est soir de cinéma paroissial. Le curé choisit des films, le plus souvent américains, tels ceux de Disney ou de Charlie Chaplin. Chaque film est suivi d’un documentaire. Lorsque certains paroissiens s’offusquent d’avoir vu une Esquimaude donner le sein à son enfant, il leur répond : arrêtez donc de faire des péchés pour rien!

À la grand- messe du dimanche, Béatrice lève discrètement les yeux de son missel pour observer les servants de messe, dont deux amis inséparables qui s’échangent la première place en classe, ce qui les a mené dans les bonnes grâces du curé. Simon Gagnon, qui habite dans la Côte-à-Bouleaux, a une voix d’ange tandis que Lauréat Maltais chante mal et a l’air simple. Les deux amis vont souvent chasser ou trapper dans la montagne derrière la rivière, au lac Salé ou à la pêche en chaloupe.

Après seulement deux mois, Béatrice est rappelée à la maison par son père.  Elle ne reviendra chez son oncle le curé Thibeault qu’en 1943 à l’âge de 19 ans. Bien qu’il la trouve de constitution un peu faible, le curé lui propose de devenir enseignante à Paul-Baie, près de Colombier. Il n’hésite pas à déclarer au secrétaire de cette municipalité qu’elle a complété sa neuvième année alors qu’en fait, elle n’a qu’une septième année.


Le vieux presbytère des Bergeronnes. Source : BaNQ E10,S77,DFC09234

À l’approche des Fêtes, Béatrice laisse son école pour venir passer ses vacances aux Bergeronnes. Avec la décoration de l’église et la préparation de la nourriture pour les réceptions des fêtes, l’effervescence est grande au presbytère et deux cousines de Béatrice, Marie-Alice et Rosa, déjà sont sur place.  Elles préparent en secret une rencontre avec un invité surprise, Lauréat Maltais, devenu un jeune homme de bonne prestance, dont Béatrice leur a parlé lors de sa visite d’automne à l’occasion de la Toussaint.

Après le souper, le curé se retire dans sa chambre et les cousines suggèrent à Béatrice de mettre de la musique. Celle-ci se dirige vers le piano mécanique pour choisir un rouleau de musique française. Les deux jeunes gens, gênés, échangent quelques menus propos. À neuf heures du soir, le curé Thibeault vient les avertir qu’il était assez tard.

Passé la fête des Rois, Béatrice retourne à l’enseignement. Au bout d’une semaine,  elle a la surprise de voir Lauréat se pointer dans son école. Il explique que son emploi de garde-chasse le force à rester éloigné de sa famille pour trois mois et il est mal pris. Pourrait-elle réparer ses gants? La logeuse de Béatrice a tôt fait de remarquer que le gant n’a pas été percé, mais plutôt coupé au couteau! Ce n’était qu’un ruse pour revoir Béatrice avec qui il commence à veiller aux deux semaines.

Au début de l’été 1944, Les Bergeronnes fêtent leur centenaire. Simon Gagnon, président du comité d’organisation,  invite son ami Lauréat à prendre la parole. Se basant sur l’histoire de Dollard des Ormeaux, il livre un discours enflammé sur l’idéal de coopération. Mais une autre flamme brille aussi dans son cœur : il demande la main de Béatrice à son père au cours du mois d’août. À peine en parle-t-il au curé que celui-ci rétorque :

« Tu ne marieras pas la fille à Hermel, Lauréat C'est une maigrichonne! Elle ne pourra pas te donner d'enfants! Elle a de la misère à se tenir debout! Elle a les jambes comme des aiguilles. Ça n'a pas de corps, cette femme-là. Tu vas pleurer. Ça ne fera pas plus de trois ou quatre ans!»

Marié néanmoins en septembre 1944, le couple s’installe à Québec. En avril 1945, le curé Thibeault réclame à nouveau les services de Béatrice à son presbytère en attendant de trouver une nouvelle ménagère. Comme les chemins ne sont pas encore praticables, elle s’embarque à Loretteville dans un avion piloté par Rodolphe Pagé qui se pose une heure plus tard à l’aéroport des Bergeronnes. Elle en a tout au plus pour un mois, lui dit le curé. Sauf qu’en juin, elle est toujours là et Lauréat vient la rejoindre. Voilà que le curé interdit aux conjoints de coucher ensemble au presbytère. Voyant cela, le père de Lauréat, René Maltais, dit à son fils : va chercher ta femme et viens-t’en vivre à la maison. Le curé, vaincu, doit se chercher une autre ménagère.

Quelques membres de la famille de René Maltais et Rose-Anna Lafrance devant la maison (aujourd’hui au 56, rue Principale). Source : BaNQ E10,S77,DFC01948
 

Note : René Maltais était le maquignon (marchand de chevaux) des Bergeronnes. Pour faire sa tournée en carriole en tant que cantonnier, il s’était réservé le plus beau cheval de la paroisse. Son fils Maurice a épousé Lise Morin en 1958 puis Cécile Deschênes en 1975. Sa fille Aurore a épousé Patrick Gauthier en 1939.

Lauréat a fait une carrière comme gérant et homme politique fédéral. Malgré sa « faible » constitution, Béatrice a eu onze enfants et en a adopté deux. Elle a été la mairesse de Sault-au-Mouton et préfète de la MRC de la Haute-Côte-Nord. Leur fille Agnès a occupé plusieurs postes de ministre au gouvernement provincial entre 1998 et 2003 et 2012 à 2014.