Fondation de Bergeronnes




Causeries données au poste CJB de Chicoutimi entre 1963 et 1964 par Mgr Victor Tremblay, publiées sous le titre "Au royaume du Saguenay, les trente aînées de nos localités" par la Société historique du Saguenay, numéro 19, pages 73-79

À quelle data précisément est-il question pour la première fois des Bergeronnes? 

Exactement en 1626, dans une description de la côte faite  par Samuel de Champlain. Il écrit : "De Lesquemin l'on passe aux Bergeronnes, qui en est à quatre lieues..." Il avait  passé là 23 ans auparavant, en 1603, mais sans nommer la place; il s’y arrête le 26 de juin 1626 : "De cette marée nous fûmes mouiller l'ancre à la pointe des Bergeronnes…" 

Champlain parle de "bergeronnettes'' et de "bergeronnes"?

C'est ce dernier nom qui est resté. On suppose que c'était la présence de bergeronnettes à l'embouchure des rivières  de cet endroit qui avait suggéré le premier nom (comme "pointe aux Alouettes", "cap à l'Aigle"). Si Champlain n’avait pas  écrit "Bergeronnettes", on pourrait supposer que les deux rivières — car il y en a deux, la grande et la petite, qui se rejoignent à leur embouchure — on aurait pu supposer quelles auraient peut être été appelées "Les Bergeronnes" en l'honneur du géographe Pierre Bergeron qui a fait mention de Tadoussac et des alentours dans sort Traité de la navigation et des  voyages, édité en 1601. 

Ce lieu était-il fréquenté comme Tadoussac ? 

L'embouchure des rivières Bergeronnes ne devait pas être  fréquentée, car le port de mer est mauvais. Mais un autre  endroit de la paroisse des Bergeronnes a été très fréquenté,  et bien avant Champlain, par les Basques et les autres qui venaient au Saint-Laurent faire la chasse au loup marin, au marsouin et à la baleine, c'est l'anse de Bon-Désir. On trouve encore là des vestiges de fourneaux qui servaient à faire l’huile  et des monticules de déchets que les gens appellent des "cortons".

Elle mériterait d'être connue celte histoire de Bon-Désir.

Je l'ai écrite moi-même et publiée en brochure en 1945.  Il reste à faite les études archéologiques. Mgr René Bélanger,  de la Société Historique de la Côte-Nord, a commercé ce travail en faisant des fouilles, mais ce n'est encore qu'une amorce. On trouverait de la documentation additionnelle pour l’histoire aussi à Paris, à Bordeaux et en Espagne. Mais cela sort du cadre de notre entrevue-causerie.

Il n'y a pas eu de poste de traite ni de mission aux Bergeronnes ?   

Pas aux Bergeronnes, mais il y en a eu à Bon-Désir. Le  Père Pierre Laure, Jésuite, avait choisi cet endroit à cause de la  présence du groupe de familles qui y vivaient de la chasse au  loup marin, hiver et été. Il a construit là une chapelle en 1723, mais il n'y a hiverné que trois fois; il s'est installé ensuite à Chicoutimi et a même cessé de s’arrêter à Bon-Désir dans ses missions sur la Côte. Son départ fut désastreux pour le poste de chasse, qui tomba presque à rien, les Basques y revinrent quelques années plus tard, mais ne tardèrent pas à  abandonner les lieux, où il leur était défendu de commercer les pelleteries.

Aux rivières Bergeronnes, c'était toujours le silence; je veux dire le silence de l'histoire.

Le silence complet de l'histoire pendant cent ans. Il est  rompu pour la première fois en 1827. Cette année-là, Marc-Paschal de Sales Laterrière, député du comté de Northumberland, qui englobait toute la région du Saguenay, est allé lui-même explorer les terres pour voir s'il n'y avait pas moyen d'y faire de la colonisation, il a remonté 5 à 6 milles dans la rivière Petites Bergeronnes et constaté que les terres cultivables  n'étaient pas grandes, mais de bonne qualité. Les gens du poste do Tadoussac venaient y couper du foin naturel pour les quelques animaux qu'ils gardaient.

Est-ce cela qui a provoqué la venue des premiers colons ? 

C’est cela pour une part, mais pas tout de suite. Vous savez qu'avant le 2 octobre 1842 tout établissement de colon  dans le Saguenay était défendu, et la Société des Vingt-et-Un,  qui a tourné la difficulté de la façon qu'on connaît, n'a pas opéré sur la Côte, mais seulement dans l'intérieur. 

En effet, ça n'a commencé qu’en 1844. De quelle façon ?   

Comme Chicoutimi, Les Bergeronnes ont pour origine des centres d’établissement séparés, à la différence qu’il y en a ou trois au lieu de deux. Le premier a commencé à la rivière Petites Bergeronnes. Le  fondateur est un des trois frères Simard qu'on connaît déjà : Thomas Simard, frère d’Alexis, qui fut le premier défricheur de Saint-Alexis, frère de Michel, qui a fondé Saint-Fulgence, et  frère d’un autre pionnier, Damase, qui fut le premier colon du  Moulin Beaude, près de Tadoussac.

On dirait qu'ils ambitionnaient de se partager le Saguenay!   

Plus réalisateurs qu’ambitieux, ils ne songeaient qu’à s’établir et non pas à accaparer. Le seul qui a montré un peu d'appétit en ce sens est précisément Thomas. Il s’adonnait à l'exploitation du bois, possédait un moulin à scie à La Malbaie, avait une goélette à lui, et il connaissait tous les recoins du Saguenay pour les avoir parcourus pendant vingt ans au service de la Compagnie de la Baie d'Hudson. 

Et c'est le coin des Petites-Bergeronnes qui l'a tenté…
 
Probablement à cause de la facilité d'accès en goélette et  de la forêt d'en arrière. En tout cas, aussitôt après la levée  de l'embargo sur la région, il acquit un site de moulin et onze lots de terre aux Petites-Bergeronnes, et au printemps de 1844  il vint s'y installer avec trois hommes qui avaient probablement fait chantier avec lui l’hiver précédent, car ils étaient engagés depuis le 6 de novembre.
 
Vous paraissez les connaître!   

Si je les connais! Nous avons leurs contrats d'engagement. C’étaient J.B. Gauthier dit Larouche, Thaddée Brassard et Louis Turcotte l'aîné. Peu après sont arrivés Louis Dassilva dit Portugais, père du premier enfant né sur les lieux, Charles Morin,  qui fut parrain de cet enfant, et Hubert Gaudreault, chargé de  soigner les animaux" et de "voir à tout".

Ce dernier détail indique que Simard cultivait.... 

C’était d'ailleurs son lot. Il a tout de suite défriché, amené sa famille, fait construire maison, grange et étable, et dès l'année suivante il a vendu ses deux moulins à scie à William Price pour ne s’occuper que de la culture.

On peut dire que Thomas Simard a été le fondateur des  Bergeronnes.  

Ou tout du moins le premier des fondateurs, si on veut en reconnaître plusieurs à cause des trois colonies. Il a sûrement agi en fondateur. Quand il est reparti, dix ans plus tard, son domaine a passé à son gendre Réhul Boulianne, qui a été ensuite le gros propriétaire des Petites-Bergeronnes.

Quelle fut la deuxième colonie ?   

Ce fut celle qui s'établit à Bon-Désir, sur des terres. Elle débuta en 1846. Deux ans après la première. Elle était constituée par un groupe familial: Jean Savard, son frère Guillaume, ses beaux-frères Abraham Duchesne et Benjamin Simard, et deux anciens employés de Thomas Simard : Hubert Gaudreault et Michel Gilbert Colonie purement agricole, celle-là.

Et la troisième ?  

La troisième s’établit entre les deux, à la rivière Grandes  Bergeronnes; on y trouve six familles à l'automne de 1848.

Encore une colonie agricole ? 

Moins que les autres, celle-ci. Elle a été fondée par des rescapés du village de l'Anse à l'Eau, où la fermeture du moulin a forcé tout le morde à s'en aller ailleurs. Ces familles ont dû être amenées par le gérant de Price. Charles Pentland, qui est venu construire pour son compte personnel un moulin à scie et un moulin à farine à la rivière Grandes-Bergeronnes. 

Si je ne me trompe pas, c'est cette colonie qui est devenue le centre de la paroisse des Bergeronnes. 

Vous avez raison. Sa position centrale et aussi, pour leur  part, la présence du moulin à farine et les avantages du site y ont contribué.

Quand ces trois établissements ont-ils été groupés en paroisse ? 

La chose ne s'est pas faite vite si facilement. Un fait qui a  pu avoir quelque influence, bien qu'étranger au domaine religieux, qui est la raison d'être de la paroisse, c’est, dès 1854, l'acquisition des moulins à scie des Grandes-Bergeronnes et de  Bon-Désir par Price, qui possédait déjà celui des Petites-Bergeronnes. Cela mettait une certaine unité d'activité et une sorte de sort commun dépendant des hausses et des baisses dans  l’industrie du bois. Le jeûne a été plus fréquent que la bombance.
Il y avait aussi la question du lieu où placer l'église. Les  distances entre les trois centres devaient la compliquer.

Cela rendait la question très épineuse, les difficultés commencèrent dès la construction de la première chapelle, qu'on commence à construire aux Grandes-Bergeronnes, en 1852, sur un terrain donné par le premier occupant, Lévite Gauthier. Elle était dédiée à Sainte-Zoé, en hommage à Madame Petland, Zoé Taschereau, sœur de l'archevêque de Québec.   Les gens de Bon-Désir auraient voulu la chapelle chez eux, ou tout proche. Ils s'apaisèrent, mais leur opposition se ranima quand il fut question d'agrandir celle du centre; l'évêque fut obligé de recourir aux menaces. De leur côté, les gens des Petites-Bergeronnes réclamèrent aussi une chapelle à eux, la ferveur séparatiste a duré environ cinq ans. Après leur  première messe de minuit aux Grandes-Bergeronnes. À Noël de 1869, ils étaient tous joyeux de se retrouver ensemble et disaient : "Nous voilà en paroisse! L’accord fait, il ne s'est pas relâché depuis près de cent ans.

La paroisse était établie ?

Oh, non pas encore. Ce n'était qu'une mission des  services par le curé des Escoumins. Le premier curé résidant  aux Bergeronnes n'a été donné qu'en 1809, 45 ans après l'installation des premiers colons.

Dans ces conditions il est surprenant que la colonie des  Grandes-Bergeronnes se soit développée.

Elle s’est peuplée surtout après cette date. Quelques familles entreprenantes s'y étaient établies et contribuèrent à son progrès, celles de Thaddée Gagnon, de Benjamin Simard, des  frères Lessard : Épiphane et Joseph (père de 21 enfants), celles  des frères Maltais : Éphrem et Octave.

Avait-on des écoles ?   

Elles se sont fait attendre. D'après nos calculs, la première aurait été ouverte aux Petites-Bergeronnes en 1873, quelque trente ans après la venue des premières familles. J'ai  rencontré à Tadoussac, il y a une vingtaine d'années, une sœur  de la première institutrice, qui s'appelait Eliza Simard et qui était petite-fille de Damase Simard, frère de Thomas. Quand  elle est arrivée là, pas un enfant ne savait lire. 

Il y a donc eu une génération d'illettrés. 

Oui. Pas totalement toutefois, et on s'est vite relevé. Après les premiers établis, qui ont subi les inconvénients de la  pauvreté, des familles sont arrivées avec de l'instruction et  on s'est donné des écoles qui ont été de bonne qualité, car une note particulière des gens des Bergeronnes est le bonne tenue de leur langage et leur goût pour la culture intellectuelle. Savez-vous que c’est une Bergeronnette, Louise Girard, qui a obtenu le premier diplôme décerné dans le comté de Saguenay ? Savez-vous que parmi les quatre premières femmes inscrites comme membres de la Société des Écrivains canadiens on compte une Bergeronnette, madame Adéla Lessard1, la fondatrice des Jeudis littéraires et artistiques de Québec?

Ce sont peut-être des cas d'exception.  

Loin de là. J'ai personnellement remarqué le fait général que je viens de signaler. Cette population a donné beaucoup  de sujets remarquables pour leur activité et leur culture, dans  les vocations religieuses, les professions, les affaires, les œuvres sociales et même la politique. On en a fait un relevé impressionnant lors de la célébration du centenaire des Bergeronnes, en 1944.
Adéla Boivin-Lessard

Née à Grandes-Bergeronnes, le 16 janvier 1890, elle s’établit à Québec à l’âge de 18 ans. En 1939, elle fonde Les jeudis artistiques et littéraires dont elle animera les soirées pendant près de 25 ans. Quelques-unes de ces soirées sont qualifiées de grandioses, tels ces galas anniversaires au Salon bleu du Château Frontenac. Sous le nom de plume "Brune Bergeronette", elle fut l'une des premières collaboratrices au journal Le Soleil (de 1906 à 1933). Elle a reçu la médaille d’argent du lieutenant-gouverneur au titre de « Protectrice des Arts et des Lettres ».

Elle a publié en 1944 un livre intitulé  "Tableaux d’autrefois".


Son nom est perpétué par :
  • une rue de la ville de Québec nommée en son honneur le 30 janvier 1991 à Québec (quartier Neufchâtel-Est–Lebourgneuf, dans l’arrondissement de Les Rivières).
  • le mont Adéla-Lessard à Tadoussac, accessible par un sentier de la SEPAQ de 3,3 kilomètres.