Rencontre avec Maurice Maltais

propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay

Je suis né en 1932, septième enfant d’une famille qui en comptait neuf. On peut dire que j’étais un petit gars bien sage : servant de messe et membre des croisés. Au primaire, je fréquente le couvent. À partir de la septième année, je vais à l’école de la route, à l’intersection du rang Saint-Joseph et de la rue Principale. 

À 14 ans, mes observations sur la migration de la truite au lac des Sables, soigneusement rapportées sur une carte, me valent la médaille d’argent, catégorie chasse et pêche, des clubs 4H de la Côte-Nord. 

Comme je suis habile pour travailler le bois, je fabrique moi-même mes jouets. Les gens du village sont étonnés par mon talent et viennent me voir opérer les manivelles de ma petite pelle mécanique. J’ai fait des jouets pour les autres enfants et même pour mes petits-enfants.

Dans le champ à côté du presbytère, là où se trouve aujourd’hui Explos-Nature, le curé Thibeault a convaincu les marguilliers d’investir 1500$ pour convertir son étable en une école de métiers. J’ai 17 ans quand on me recrute pour y donner des cours de menuiserie.
Au bout d’une année d’enseignement, je ressens le besoin de me perfectionner et m’inscris à l’école technique de Québec. Là, on commence par nous proposer divers stages, dont la fonderie et la plomberie, afin de nous aider à découvrir notre vocation. Si j’excelle en menuiserie, je choisis finalement l’électricité; c’est ce qui m’intéresse le plus. 

De retour aux Bergeronnes, la nouvelle école de métier vient tout juste d’être bâtie. Mon local d’enseignement donne sur la rivière; c’est aujourd’hui devenu la salle de l’âge d’or. En face, Simon Gagnon enseigne la menuiserie tandis que du côté du quai, Laurent Gagnon donne des cours de mécanique automobile. C’est dans son atelier qu’un particulier fait un jour réparer l’hélice tordue de son avion accidenté. L’école de métiers des Bergeronnes est alors unique dans la région; elle accueille aussi bien des jeunes de Charlevoix que de Forestville, Baie-Comeau ou Chicoutimi. 

Avec Simon Gagnon, je m’occupe des loisirs. La patinoire extérieure du village était située tout près du terrain où se trouve l’aréna. Au moment de la construction en 1966, l’architecte avait prévu une alimentation en 600 volts. Comme ce type l’équipement pour ce type d’installation était difficile à trouver dans la région, j’ai refait bénévolement les plans électriques. J’assume la gérance de l’aréna pendant les cinq premières années et je suis chargé de tenir les finances. Après les parties contre des visiteurs comme Forestville ou Sept-Îles, je verse un montant de la recette au club adverse puis file chez Charles-Edmond Lessard avec le reste de l’argent pour qu’on le place dans le coffre de la caisse populaire. J’y retourne au lendemain matin pour compter l’argent avec lui. 

En 1973, la création des polyvalentes entraîne la fermeture de l’école de métiers au village. Je déménage alors à Baie-Comeau pour continuer d’enseigner. Là-bas, les locaux sont presque vides et j’y transfère le matériel de Bergeronnes, bien plus complet. Même si je dois délaisser mes engagements comme conseiller municipal et comme marguillier, je retourne pratiquement toutes les fins de semaine aux Bergeronnes. Si je consacre beaucoup de temps à agrandir mon chalet, je suis aussi grand amateur de chasse et de pêche. 

Il faut que je vous parle de mon endroit de prédilection pour pêcher la morue au large des Bergeronnes. On y est quand on peut à la fois voir le clocher de l’église et le phare de Bon-Désir. J’y ai déjà pêché une centaine de morues, mais c’était avant qu’on dépose à cet endroit les sédiments de dragage du chenal vers 1976. J’ai aussi installé une fascine devant mon chalet pendant un an, mais avec peu de succès. 

En 2000, je prends ma retraite et reviens m’installer aux Bergeronnes. Pendant les quatre premières années, je m’associe avec mon beau-frère Roméo Deschenes pour exploiter la pourvoirie Tadoussac, chasse et pêche. C’est là qu’un jour, dans ma cache pour la chasse à l’orignal, j’aperçois le tronc d’un gros arbre qui semble m’inviter à la sculpture. Voilà une excellente façon de meubler mes longues heures de guet! Plus tard, je retourne découper cette partie du tronc sculptée d’un orignal que je conserve chez moi. Je me suis aussi mis à la peinture que je pratique pendant une dizaine d’années.

Mon retour aux Bergeronnes m’a permis de renouer avec mes activités de bénévole : marguillier à la fabrique et volontaire au club de l’âge d’or ainsi qu’au foyer. On dit que les Bergeronnes ont souvent été en avance sur les autres paroisses. En effet, à cause de leur bon niveau d’instruction, plusieurs n’hésitaient pas à prendre la tête d’un comité. Même si le bénévolat est tout aussi important aujourd’hui, ç'est devenu pas mal plus rare. C’est dommage, car on a bien de la difficulté à faire marcher nos organisations. 

 


 

Rencontre avec Gianna Bella

propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay
 
Je suis née en 1946 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Mes premiers souvenirs d’enfant me ramènent dans la grande cour entourée d'arcades d'un couvent à Mantoue. On y trouve un  beau jardin et une fontaine. Mes amis et moi, appuyés à la grande balustrade de la terrasse du premier étage, contemplons  la vaste plaine agricole du Mincio, une rivière irriguant ce coin de Lombardie dans le nord de l’Italie.

Le gouvernement avait alors réquisitionné des endroits afin de loger les sinistrés de la guerre. La caserne Palestro, un ancien couvent des sœurs Servantes de Marie établi en 1497, servait de logement à de nombreuses familles, dont la nôtre. Cet endroit est à l’origine de ma passion pour les couvents et monastères. C’est devenu aujourd’hui un conservatoire de musique.

En 1956 - j’avais 10 ans – notre petite famille s’installe en France à Rive-de-Gier, dans la Loire. Mon père vient y chercher du travail auprès de ses deux oncles. J’apprends facilement le français en à peine trois mois. À la fin du cours secondaire, je m’inscris aux beaux-arts et découvre la littérature, la musique et mon côté artistique. Faute d’argent, je dois laisser ces études et deviens auxiliaire de puériculture auprès des enfants hospitalisés dans le quartier de Grange Blanche à Lyon. Je me plais dans cette ville avec ses marchés publics, sa vie culturelle et gastronomique. Je revois aussi mes promenades à cheval dans les alentours et mes soirées de swing ou de blues.

En 1972, je croise Pierre Rambaud, un vieil ami qui a fait ses études de littératures à Lyon. Il est installé au Québec depuis le l6 août 1968. Il est de passage pour un projet de collaboration franco-québécois. Notre amitié se transforme et je décide, six mois plus tard, d’aller le rejoindre là-bas.

Au Québec

J’arrive au Québec le 16 août 1972. Quel choc, tout est immense ici : les espaces, les rues, les voitures, les restaurants. Je reste perplexe devant les pizzas préparées par des Grecs; rien à voir avec les pizzas en Italie! Côté politique, j’arrive mal à démêler ce qui est de juridiction fédérale ou provinciale.

Pour la langue, ça va. J’ai commencé à me familiariser avec la langue québécoise en  écoutant des cassettes de Félix Leclerc et de Robert Charlebois. Comme Pierre travaille dans le milieu journalistique, je continue de me faire l’oreille en assistant à de nombreux spectacles d’artistes québécois, dont l’Osstidcho.

Un jour, en revenant de mon cours d’anglais au centre d'orientation et de formation des immigrants (COFI), je perds mon sac à main à la station de métro Berri-de-Montigny. C’est la catastrophe : plus de lunettes et plus de passeport. Et le porte-clés que je garde en souvenir de mon père est irrémédiablement perdu.

Les Bergeronnes

Pour me consoler, mon compagnon me dit : "on va partir quelque part en fin de semaine, pose ton doigt au hasard sur la carte". Nous voici donc en route pour Tadoussac. Une fois arrivés, nous trouvons que le camping est trop éloigné de l’eau à notre goût. On tente de s’installer aux dunes, mais la police nous expulse. Nous poussons vers Les Bergeronnes, mais les emplacements disponibles sont encore trop loin de l’eau tandis qu’aux Escoumins, le camping est pratiquement en plein village. Nous revenons finalement au camping Bon-Désir où nous rencontrons une connaissance sur le point de quitter qui nous laisse son emplacement au bord de l’eau.

En cette soirée du 16 août 1973, nous veillons devant notre feu de camp allumé dans l’espoir de chasser les maringouins. Intriguée par le déplacement de lumières sur l’eau, je reconnais un paquebot et commence à comprendre pourquoi les gens d’ici parlent de la mer plutôt que du fleuve. Le lendemain matin, nous découvrons le souffle des baleines. Conquis, nous restons sur place pour toute la semaine. Cette magnifique découverte du milieu marin de l’estuaire va me sensibiliser à la protection de notre environnement, une passion qui va me suivre tout au long de ma vie. Au retour, en passant au sommet de la Côte-à-Bouleaux, on aperçoit une pancarte pour une maison à louer. On s’arrête et cette maison devient notre chez-nous à temps partiel, à raison de séjours de deux mois à la fois.

C’est lors d’un de ces séjours qu’arrive pour moi le temps d’accoucher. Dans l’énervement, Pierre oublie de vérifier le niveau d’essence avant de prendre la route de Chicoutimi. Nous voici au bord de la panne sèche à Sainte-Rose-du-Nord, à trois heures du matin. Le temps de réussir à réveiller le garagiste et de compléter la route, Oriane est née avant que Pierre ne puisse me retrouver à la salle d’accouchement.

En 1976, nous nous installons pour de bon aux Bergeronnes, Pierre ayant trouvé un emploi au journal Plein-Jour. Pour ma part, je m’implique dans le comité du patrimoine et découvre le village. Nous organisons des visites de la vieille beurrerie, de la Pointe-Sauvage, des fours basques et du moulin de Charles Lapointe avec sa dynamo, entre autres. Pendant près de 12 ans, je contribue en tant que rédactrice, graphiste et correctrice au journal communautaire Le Maillon*. J’y côtoie au fil du temps plus de soixante bénévoles qui enrichissent grandement ma vie sociale et personnelle.

Interpellée pour servir d’interprète lors du passage de la société zoologique de New York venue observer les baleines, je constate que l’essentiel de la documentation sur les mammifères marins est en anglais. Je participe à la fondation de la corporation touristique et nous produisons le premier guide en français, intitulé « Les demoiselles de Bergeronnes ». Je suis ravie d’accueillir les visiteurs s’arrêtant au premier kiosque d’information au festival de la baleine bleue de 1978.

En 1986, après avoir longuement décrit, justifié, sensibilisé et argumenté, le projet de gestion et mise en valeur du cap Bon-Désir par la corporation touristique est accepté. On accueille 3000 visiteurs sur le site dès la première année. Le développement du tourisme aux Bergeronnes repose sur une équipe de passionnés où chacun se sent partie prenante à parts égales. Un objectif pas toujours facile à atteindre pour des bénévoles qui doivent concilier promotion, initiative et offre de services, des conditions encore bien difficiles à réunir de nos jours. 

Sur le site de Bon-Désir, je travaille comme guide jusqu’au moment où, cinq ans plus tard, les autorités du parc nous remplacent par des biologistes. En 1991, j'ouvre mon gîte  « La Mantouane » (nom donné aux habitantes de ma ville natale, Mantoue). Cette aventure durera une dizaine d’années. J’ai eu ensuite le plaisir de travailler avec Alain Dumais dans les premières années d’installation de son entreprise innovatrice d’excursions en kayak de mer, c'était une première au Québec. 

Plus tard, en 2006, je m’inscris à un programme pour devenir auxiliaire à domicile et travaille quelques années au centre de santé. Mais la santé de ma mère décline et je dois multiplier les aller-retour en France. Je rentre à peine d’un séjour de six mois là-bas qu’elle décède et je dois partir de nouveau. Mon conjoint Pierre n’échappe pas non plus à cette réalité des immigrants éloignés de leur famille. Son père est décédé quand Oriane avait six mois et il était parti en France avec la petite pour la faire connaître à sa famille.

Ma passion actuelle est mon potager agroécologique et ma serre. Ce contact direct avec la terre me rassure et me rappelle qu’il faut être humble devant la nature.


* Les archives du journal Le Maillon entre 1972 et 1978 ont été numérisées par Généalogie Haute-Côte-Nord et sont disponibles sur le site Internet Archives.