Rencontre avec Henry Rosales Rojas

propos recueillis, traduits et mis en forme par Pierre-Julien Guay

Je suis né en 1978 au Nicaragua, un pays de lacs et de volcans. Mon enfance dans la ville de Léon a été difficile. Les maigres économies de mon père ouvrier fondaient au fur et à mesure de la dévaluation de notre monnaie. Je n’ai fréquenté l’école primaire que lorsque nous avions assez d’argent pour l’uniforme et les fournitures. Souvent, en grandissant, nous n’avions pas d’autre choix que de couper l’extrémité de nos souliers pour pouvoir continuer à les porter.

En travaillant fort, j’ai réussi à aller à l’université. Je suivais mes cours entre 7 et 15 heures. Je m’installais alors au volant d’un taxi jusqu’à 23h pour rentrer étudier jusqu’à 3 heures de matin. En plus, pendant les fins de semaine, je faisais divers travaux comme le dégagement de la végétation à la machette.

Mes études terminées, j’obtiens un emploi d’analyse de sang et de prélèvements dans un hôpital. Je m’installe bientôt à Malpaisillo qu’on appelle la terre d’or, de lait et de miel. L’or, c’est celui des mines appartenant aux étrangers. Pour le reste, c’est une zone plutôt aride, jonchée de résidus d’éruptions volcaniques. Dans les basses terres, la température atteint 30° C et jusqu’à 40° en été. Bon nombre de paysans travaillant sous le soleil à la culture des arachides souffrent de déshydratation et développent une insuffisance rénale chronique.

Je soutiens ma mère et ma fille de 19 ans qui étudie à l’université tout en apportant ce qu’il faut à ma fille de 3 ans. Mais les difficultés économiques persistent au pays, l’argent perd constamment de la valeur et je n’ai plus d’emploi. Je ne veux pas me tourner vers l’immigration illégale aux Etats-Unis.

Je suis plutôt un cours d’opérateur de monte-charge et répond à une annonce du programme canadien travailleur sans frontière. Je ne peux pas décrire ma joie d’apprendre que je vais obtenir un permis de travail pour 2 ans là-bas. Pas plus que ma tristesse à devoir me séparer de ma mère et de mes filles.

Au moment où l’avion amorce sa descente vers la ville de Québec, je me presse contre le hublot pour voir tout ce blanc qui couvre le sol. Depuis mon enfance, j’ai toujours imaginé que la neige aurait la texture de ce dessert de mon pays natal, le raspado de leche, un granité additionné de lait et de miel. Toute cette blancheur dans l’obscurité de la nuit m’apparaît comme un symbole de paix !

À notre arrivée en janvier 2023, nous ne portons que nos vêtements de départ et le choc à -15° est brutal. On nous distribue un manteau, des bottes et des gants qui atténuent à peine la morsure du froid. Mais ce qui nous réconforte, c’est la grande chaleur humaine de l’accueil des gens du groupe Boisaco.

Je n’ai étudié qu’une centaine d’heures de français et l’accent québécois est difficile à comprendre. En attendant, je communique par gestes comme je faisais avec mon vieil oncle sourd et muet. Les gens d’ici m’impressionnent par leur gentillesse, leur respect et leur ponctualité.

L’autre jour, lors d’une promenade en raquettes au milieu des arbres couverts de neige, j’ai retrouvé le même sentiment de connexion avec la nature que j’éprouvais dans les hautes collines de mon pays : la tranquillité, la paix et le plein d’énergie.

Je me suis toujours efforcé d’être un père exemplaire et responsable. Déjà, en un seul mois, j’ai amassé ici en salaire autant qu’en neuf mois au Nicaragua. Quant au froid, j’ose parfois même sortir sans gants quand la température est clémente. La route vers un futur meilleur est un parcours difficile, mais j’aimerais que d’autres, les jeunes en particulier, puissent s’inspirer de mon exemple de persévérance et de de détermination.