Rencontre avec Rubis Iyodi

propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay

J’ai grandi à Douala, une ville du sud du Cameroun. Sous ce climat tropical, la pluie et la sécheresse alternent au fil des saisons. Née en 1991, j’ai vécu une enfance heureuse, suivant partout mes deux frères aînés, ce qui me donnait l’allure d’un garçon manqué.

Le Cameroun est d’une grande diversité culturelle. Le pays est bilingue avec huit régions francophones et deux anglophones. Catholiques, protestants et musulmans s’y côtoient au quotidien. Par exemple, le choix d’une école dépend surtout de sa réputation et un musulman peut fréquenter sans problème une école tenue par des pères Jésuites.

Pour nos études supérieures, mes parents ont choisi de nous envoyer au Québec, considérant, entre autres, que le Canada est aussi un pays bilingue. Je n’oublierai jamais ce matin de l’automne 2006 où la première neige avait recouvert de blanc la ville de Québec pendant la nuit. Ce premier hiver, j’avais 15 ans et je n’ai même pas senti le froid tellement j’étais contente et excitée. J’ai déchanté à l’hiver suivant qui était long, froid et neigeux.

Il m’a fallu longtemps pour comprendre comment m’habiller en hiver. Au début, je m’étais acheté de jolies bottes ni chaudes ni imperméables et un manteau échancré. Et c’est seulement plus tard que j’ai compris qu’on pouvait porter des collants sous les pantalons.

Mes premiers mois au Québec n’ont pas été des plus faciles. J’ai commencé directement au cégep et je me sentais bien isolée alors que les étudiants se tenaient en cliques. Mais, je suis très déterminée et je suis fière de m’être adaptée et d’avoir réussi mes études.

Sécurité alimentaire

Mon grand défaut est de ne pas avoir de passion particulière, mais une panoplie d’intérêts. À l’université, je fais des demandes d’admission aussi variées que diététique, sciences et mathématiques, agronomie et génie biomédical. Cependant, la crise financière et alimentaire mondiale de 2007-2008, avec les émeutes qui en découlent, place la sécurité alimentaire sur mon radar. Comme il n’existe pas de programme précis pour ce domaine, je m’inscris à l’université McGill dans une majeure en production végétale et une mineure en nutrition.

Après l’obtention de mon diplôme, je travaille pendant deux ans dans de grandes entreprises maraîchères où je suis témoin du gaspillage alimentaire généré par les exigences d’avoir des légumes parfaits en épicerie. Me voilà bien éloignée de la sécurité alimentaire! Aussi, je retourne à Québec pour commencer une maîtrise en agroéconomie puis des études en administration des affaires et enfin en gestion internationale.

Aux Bergeronnes

Pendant mes études à Québec, j’ai l’opportunité de faire du développement des affaires avec les missions commerciales de l’Université Laval. Après une mission en Afrique du Sud, j’obtiens un stage en affaires économiques au Bureau du Québec à Washington pour accompagner des entreprises dans leur expansion aux États-Unis. C’est de là que je me présente à une entrevue d’embauche en ligne pour un poste au ministère de l’Agriculture du Québec. Le lieu de travail est aux Bergeronnes et on me demande à trois ou quatre reprises si je suis vraiment disposée à m’y installer. Étant de  nature aventurière – le poste étant vraiment intéressant – j’arrive ici en février 2018. Je suis surprise de voir si peu de monde dans les rues, mais je constate aussi que l’hiver est beaucoup plus agréable qu’en ville. Tout est beau et propre et je n’ai pas à attendre d’autobus en retard dans le froid. Il reste tout de même que l’été aux Bergeronnes me paraît aussi froid que «l’hiver » dans mon pays d’origine.

Autrefois, les agronomes du ministère recommandaient des engrais, pesticides et autres pratiques de culture. Aujourd’hui, notre travail consiste plutôt à accompagner les producteurs agricoles dans l’élaboration de leurs projets. Nous desservons toute la Côte-Nord, de Tadoussac à Blanc-Sablon. Près de la moitié des entreprises agricoles sont des bleuetières. J’ai découvert le bleuet sauvage qui est devenu un de mes fruits préférés. Je ne manque d’ailleurs pas d’occasions pour en faire l’éloge.

Pour revenir à mes intérêts multiples, j’ai appris à faire des cartes brodées au club des fermières, je prends depuis l’année dernière des leçons de piano et je m’intéresse au domaine des finances personnelles. Je dois confesser que, malgré ma spécialité, les plantes d’intérieurs ont parfois de la difficulté avec moi.

Quand je pense à mon parcours, Les Bergeronnes, c’est un coup de cœur important pour moi. Je me rappelle que peu de temps après mon arrivée, un employé de l’épicerie m’a offert d’aller porter mon bidon d’eau dans l’auto. Il est sorti avant que j’aie eu le temps de lui indiquer l’emplacement de ma voiture. Évidemment, il le savait déjà, car les nouvelles vont vite aux Bergeronnes. D’une certaine façon, ça me rappelle la proximité et l’entraide des gens au Cameroun.