Rencontre avec Éric Maillet

propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay

 Je suis né en 1959 à Saint-Pons de Thomières dans la région du Languedoc en France. Mon destin s’est joué une journée de mes 12 ans à l’intérieur d’une vieille cabane de pierre abandonnée derrière notre maison. Le mur du fond s’était en partie écroulé et avait laissé place à un trou noir que je me suis empressé d’explorer à la lueur d’une chandelle, sans rien dire à mes parents. C’était l’entrée d’une grotte dont les gravures sur les parois dataient de six ou sept mille ans. Ma passion pour les traces laissées par les humains au fil du passage du temps venait de naître.

Souhaitant à ma manière apprendre à dompter le feu en m’inscrivant à l’école des métiers d’art pour apprendre le métier de forgeron. Ce n’est qu’à ma deuxième année de cours que je réussi à persuader les enseignants de rallumer le feu de la forge attenante à l’école pour explorer l’artisanat plutôt que d’apprendre à souder des tuyaux de pipelines. Du reste, plus personne n’a besoin d’un forgeron artisan et je ne trouve pas d’emploi.

Au hasard d’une excursion avec un groupe de spéléologie dans le parc du Haut-Languedoc, je rencontre un ermite, gardien d’un troupeau de chèvres. Engagé à mon tour comme berger, je sais bientôt tout de la traite et de la fabrication du fromage. Je devais passer 10 ans comme éleveur. En 1989, au contact d’une communauté sur les pratiques agricoles écologiques (WWOOF), je fais un stage chez un exploitant agricole du Québec.

Après le stage, j’explore le Québec, m’arrêtant quelque temps chez les Innus de Mashteuiatsh à la Pointe bleue du lac St-Jean, attiré par le monde de ces anciens chasseurs-cueilleurs. Si j’adore leur sens de l’humour et leur simplicité à vivre, je suis aussi atterré par les dérives qu’entraînent les blessures causées par l’effritement de leur monde et par la ségrégation. À leur contact, j’apprends à diriger le canot et à observer les animaux, ce qui me permet de devenir pour un certain temps guide pour mes compatriotes français.

L’aventure me mène ensuite à Cuba à la recherche de forgerons pour un documentaire. Je me rends vite compte que là aussi, le métier est disparu. Par contre, je découvre des artisans capables de refaire en entier une porte d’auto des années 1950. Je conserve de leur exemple l’esprit de débrouillardise et du recyclage.

Une fois mon permis de travail au Canada obtenu, j’organise des excursions en hydravion pour les touristes à Tadoussac. Puis j’installe Les ailes du Nord dans le vieux hangar de Jean-Noël Tremblay à l’aéroport de la mer des Bergeronnes afin d’offrir des services de transport aux touristes, chasseurs et ingénieurs forestiers. C’est une entreprise exigeante et éphémère, durement affectée par les semaines d’isolement suite à la destruction de ponts et de routes au moment du déluge de 1996.

C’est dans ces années-là que je monte une forge-atelier près de ma maison afin de réaliser quelques contrats d’artisanat, dont des rampes d’escalier pour certaines maisons du village et d’immenses supports d'exposition pour des squelettes de baleines. Vers 2005, les trophées que je réalise me valent une invitation pour une première exposition à Sept-Îles. Je décide alors de me consacrer entièrement à mes œuvres artistiques. Plusieurs marquent désormais certains paysages de la Côte-Nord, de Tadoussac à Havre-Saint-Pierre ainsi que dans le Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent.

Mais un autre feu que celui de ma forge me fascine tout autant. C’est celui du four à bois près d’une tente de prospecteur installée près de mon ancien hangar d’aviation. Souvent, je me lève aux aurores pour aider le propriétaire en mettant la main à la pâte pour la préparation du pain artisanal. En 2012, je reprends l’affaire. Un jour où nous improvisons un repas du midi avec de la pâte à pain, des lardons et du fromage, ma compagne s’exclame C’est cochon et le nouveau nom de ma boulangerie estivale est trouvé.

Dans mes travaux à ma forge, j’exprime donc ma passion pour les traces laissées par les humains au fil du passage du temps. Dans ma sculpture « Au fil de l’eau », installée aux Escoumins en 2022, il y a d’abord une dalle de granit, une roche formée il y a un milliard d’années dans laquelle j’ai ciselé des marques d’usure. Encastrés dans le granit, les vestiges d’une scie de métal et d’un engrenage montrent les ravages du temps et de la pollution. Pour illustrer la dimension du savoir et de la mémoire, je voulais que les enfants de 1re à 3eannée du primaire créent des dessins racontant l’histoire de leur village. Je reproduis ces dessins dans le granit sous forme de pictogrammes, comme dans les grottes.

On se construit au cours de l’existence en glanant çà et là des morceaux de connaissance, de comportement et de philosophie. Pour ma part, ce qui me rend le plus fier, c’est d’avoir trouvé ma voie comme artiste. ◊