Une promenade au cœur du Laurentia

Une lumière blafarde baigne les rochers qui affleurent sous les lignes électriques sur le chemin du Lac à Raymond. Il fait frais, une dizaine de degrés tout au plus et le soleil est faible. L’air est devenu pratiquement irrespirable avec 2% d’oxygène au lieu de 21% auxquels nous sommes habitués. La faible couche d’ozone protège peu des rayons ultraviolets et rend difficile la prolifération de la vie. On ne voit d’ailleurs aucune plante, aucun animal.

Les journées sont courtes, moins de 19 heures séparent chaque lever de soleil, mais l’année dure 13 mois. Nous venons de faire un bond en arrière d’un milliard d’années. Parce qu’il est plus jeune, les rayons du soleil sont moins ardents et expliquent la fraîcheur de l’air. La nuit, la lune, plus proche de la terre qu’à notre époque, paraît immense.

Toute la région des Bergeronnes est alors au centre de la Laurentia, une plaque de la croûte terrestre coincée au milieu d’un unique supercontinent, la Rodinia, au sud de l’équateur. Le reste de la planète n’est qu’un vaste océan, le Mirovia. C’est seulement là qu’on trouve les premières traces de vie sur la planète : des groupements pluricellulaires sous forme d’algues et de bactéries.

Le granit des Petites-Bergeronnes est déjà là, formé depuis près de 500 millions d’années. Sous la force du plissement de la croûte terrestre et des changements de température, il s’est déformé, plissé et enfoncé.

Dans la région du lac à Raymond, une faible quantité de métaux précieux, comme l’or et l’argent se sont très tôt associés aux roches volcaniques et sédimentaires. On retrouve aussi du cuivre et du zinc.

Évaluation de clams miniers réalisée en 1984

La province de Grenville est l’ère géologique du choc entre la Laurentia et l’Amazonia, la plaque continentale voisine, qui a soulevé le sol et créé une chaîne de montagnes s’étendant sur près de 2000 kilomètres et dont la hauteur est comparable à l’Himalaya. Les Laurentides en sont les vestiges aujourd’hui. Lors de la collision entre les deux plaques, le granit des Petites-Bergeronnes est remonté plus près de la surface.

La Haute-Côte-Nord du fleuve Saint-Laurent est ainsi formée par la plaque Laurentia, ce morceau de la croûte terrestre qui a lentement dérivé à partir du pôle Sud au moment de la fragmentation de la Rodinia, il y a environ 750 millions d’années. Bien des événements devaient encore se produire avant d’arriver à aujourd’hui. Peu longtemps après cette fragmentation, la terre semble avoir connu un refroidissement si grand qu’on a appelé cette période terre boule de neige où les océans auraient gelé sur plusieurs centaines de mètres. Plus tard encore, un nouveau supercontinent, la Pangée, précéda l’apparition des dinosaures. Et tout récemment, il y a 20 000 ans, la Côte-Nord était enfouie sous une épaisseur de 2 à 3 km de glace, lors de la glaciation du Wisconsin. On peut dire que les magnifiques paysages autour de notre village ont une très longue histoire à nous raconter.


Note : merci à Pierre-Arthur Groulier, auteur de la thèse universitaire The Escoumins supracrustal belt: a record of mesoproterozoic (pinwarian) evolution of the Laurentian margin and Grenvillian magmatism, central Grenville province, Quebec, Canada qui a gentiment accepté de valider le ce texte.