Rencontre avec Daniel-Bertrand Bouchard


propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay

Le décor de mon enfance est disparu lors du réaménagement de la côte Sainte-Geneviève à Chicoutimi-Nord. Je suis né en 1936.  J’ai huit ans quand on a quitte le coin, peu après le décès de mon père.

C’est en pension au collège de Desbiens que je trouve la discipline et d’encadrement pour réussir à étudier plus sérieusement. Mais je manque d’argent pour poursuivre mes études. Je me met à travailler d’abord dans une imprimerie commerciale puis dans le commerce de détail. À 19 ans, j’aiassez d’argent pour retourner aux études avec l’idée de devenir enseignant.

Au décès de ma mère, ma tante de Montréal m’accueille chez elle pour m’aider à trouver de l’ouvrage et pour compléter mes études. Elle m’a obtenu un travail de nuit comme assistant pour l’entretien des ascenseurs dans les hôpitaux. Je suis si fasciné par ce domaine que je laisse mon cours classique pour passer à l’école technique. En 1957, après un an d’étude en électronique et électricité, j’ai réussi tous mes cours sauf en résistance des matériaux.

À Hauterive

Je trouve du travail comme électricien lors de l’implantation de l’aluminerie de la Reynolds à Baie-Comeau. Une dizaine d’années plus tard, j’obtiens, sous condition de compléter ma formation, un poste d’enseignant à l’école de métier de Hauterive. En plus des cours d’électricité, je suis aussi responsable des cours de français.

En 1966 s’ouvre la boîte à chanson Le Placard au sous-sol de l’ancien bureau de poste, coin Blanche et Puyjalon. Comme j’aime faire la rime et que je compose poèmes et chansons depuis l’âge de 15 ans, je fréquente régulièrement l’endroit. À titre d’auteur-compositeur-interprète, j’ai écrit près de 80 chansons, dont La Côte-Nord, un hymne à mon coin de pays.

En spectacle au Placard. Courtoisie, Le Grand Rappel 
Nous sommes maintenant en 1968 et il me reste encore à compléter mon cours en résistance des matériaux. Je décide plutôt de m’inscrire à la dernière année du programme d’électrotechnique au cégep de Rimouski. À l’obtention de mon diplôme collégial, tous les crédits universitaires associés aux cours que j’ai auparavant suivis en auditeur libre sont aussi reconnus et j’obtiens aussi du coup mon baccalauréat en électrotechnique.

Au retour de Rimouski, j’ai l’idée d’opérer une résidence étudiante. Mon offre presque ridicule pour un ancien couvent de sœurs de 18 pièces, situé à côté de la cathédrale de Hauterive, est acceptée à ma grande surprise. Dès 1969, l’Habitacle abritera une auberge de jeunesse, ma famille avec mes quatre enfants ainsi qu’une quinzaine d’étudiants ou travailleurs en chambre et pension, bref une véritable auberge espagnole. La section de l’auberge de jeunesse est aménagée au grenier et le coût est de deux dollars pour une nuit. En semaine, une vingtaine de convives se présentent à une des deux tablées du midi. En 1976, les exigences de la pension complète sont devenues trop lourdes pour nous. Je décide de convertir le bâtiment en petits appartements de deux pièces. En 1979, je participe à un échange entre enseignants et m’installe avec la famille en France pour un an à Saint-Chély d'Apcher dans la région de Lozère.

Au début des années 1980, je suis un des premiers à me procurer un puissant ordinateur Commodore avec une énorme mémoire de 64k. Aussi, le directeur de l’école m’approche afin de donner des cours d’informatique aux enseignants. Comme j’ai tout appris par moi-même, je n’ai pas de reconnaissance officielle tandis que mes élèves eux obtiennent des crédits et de l’avancement salarial après avoir assisté à mon enseignement. Pour remédier à cette situation, le directeur accepte de m’inscrire à mes propres cours!

En Afrique

En 1985, je participe à un projet de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) au Gabon. Il s’agit de former des enseignants d’électrotechnique à la pédagogie. L’aventure là-bas avec ma famille durera six années et me vaudra d’être décoré de l’Ordre de l’éducation nationale du Gabon. Nous apprenous à adopter un rythme plus décontracté et à vivre avec moins, une habitude que nous conservons encore aujourd’hui. Après ma retraite en 1991, je continue à former des enseignants de technologie et d’informatique en Guinée, à raison de plusieurs séjours ponctuels pendant 14 années.

Aux Bergeronnes

Les Bergeronnais sont des gens polyvalents qui savent s’impliquer et ça marche. Je l’ai bien souvent observé avec les étudiants des Bergeronnes dans mes classes. On peut dire que le dynamisme est le marqueur de l’identité bergeronnaise.

J’ai toujours vécu entouré de Bergeronnais. Mon épouse Agathe vient de Bon-Désir, près du quart des enseignants au pavillon central à Hauterive étaient des Bergeronnais bien instruits qui y ont trouvé un travail tandis que la majorité des pensionnaires de l’Habitacle étaient des Bergeronnais. Au moment de la retraite, je m’installe donc en pays connu. Avec mon grand atelier, juste à côté de la maison, je prends plaisir à dépanner les gens avec leurs électroménagers.

Entre 2004 et 2009, j’anime ici aux Bergeronnes, la boîte à chanson Art-Mot-Nid dans l’ancien restaurant Le voyageur, près du cimetière. J’écris et publie mon premier livre en 2016, à 80 ans. C’est l’histoire du naufrage et du renflouage du Clara Clausen près des Escoumins. Et j'ai deux autres livres en préparation. Le premier est le récit d’une Iroquoise et l’autre, inspiré d’un fait réel, raconte l’hibernation d’un motoneigiste coincé dans une crevasse.