Rencontre avec Christian Oyourou

 propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guayy

En réalité, mon vrai nom est Oyourou Kessié Badagouli, ce qui signifie l’Africain voyant et conquérant. Christian est un prénom chrétien imposé par les colonisateurs français en Côte d’Ivoire qui se disaient incapables de prononcer nos noms africains.

Grandir en Côte d’Ivoire

J’ai vécu mon enfance dans plusieurs villes de taille moyenne au gré des affectations de mon père policier. Le français est notre langue commune, mais il y a plus de 60 ethnies ayant chacune leur propre dialecte. J’ai donc été en contact avec de nombreuses ethnies, ce qui m’a permis de développer une grande ouverture d’esprit. C’était des temps heureux et d’insouciance. Je mangeais et dormais là où je me trouvais chez mes amis. À l’école primaire, nous étions 100 élèves par classe, entassés sur des bancs avec peu de place pour écrire. Là-bas, le cours secondaire dure sept ans, mais ce fut une période difficile pour moi et ça m’a pris 10 ans pour finalement obtenir mon diplôme le 18 juillet 2000. Je peux vous dire que j’ai fêté et bu toute la nuit.

Je venais d’entreprendre des études universitaires en histoire quand a éclaté la guerre civile. Des escadrons de la mort s’adonnent à des assassinats, rackets, exécutions et disparitions d'étrangers. Mes parents ont dû fuir sans bagages de peur d’être identifiés comme fuyards, parcourant 200 km pendant des jours. Quant à moi, j’ai fui vers la capitale sans pouvoir emporter ni souvenirs ni possessions. Mon université a été saccagée, il n’y a plus aucune trace de mes diplômes d’école.

À Abidjan, je tente de reprendre ma formation en lettres modernes. Mais la ville est surpeuplée et je dois me lever à 4h du matin pour faire le trajet dans des autobus bondés. Je suis perdu dans des amphithéâtres de 1500 étudiants, de nouveaux massacres se produisent et je laisse tout tomber pendant deux ans.

Tout recommencer ailleurs

Ma compagne Mireille a le projet d’émigrer au Canada. Dans mon esprit, le Canada est un pays qui doit être écarté d’emblée. La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, jouit d’une température moyenne de 25°C. Or, non seulement la documentation sur le Canada parle de l’hiver, mais elle souligne en plus qu’il est rigoureux! Ce serait sûrement invivable pour moi! Pourtant, c’est bien là que part Mireille et je vais la rejoindre à Montréal l’année suivante.

La culture québécoise est aux antipodes de la nôtre, c’est vraiment déconcertant. On doit tout réapprendre. Par exemple :

En Côte d’Ivoire             
Au Québec
  • Regarder son interlocuteur pendant qu’il nous parle est une forme d’intimidation ;

  • Ne pas regarder son interlocuteur ou baisser la tête est un signe de soumission ou qu’on n’est pas intéressé ou motivé ;
  • Référer à l’âge d’une personne est une preuve de respect, car la parole et l’expérience des anciens sont sacrées ;

  • Faire allusion à l’âge plus avancé d’une personne est péjoratif voire une injure ou un dénigrement ;
  • Interpeller une personne par son prénom est carrément impoli. On dit plutôt, mon frère, ma sœur, mon oncle, ma tante etc.

  • On utilise systématiquement le prénom pour s’adresser ou référer à une personne.

Par ailleurs, c’est un pays de liberté. Contrairement à ce que j’ai vécu en Côte d’Ivoire où tout est imposé et on doit marcher comme tout le monde, on peut exprimer nos opinions et être qui on veut. La liberté et la sécurité que je trouve ici, ce sont des choses inestimables.

Après cinq ans à Montréal et deux enfants, Mireille obtient son baccalauréat en administration et  j’ai mon baccalauréat en théologie dans l’espoir de devenir officier aumônier dans l’armée canadienne.

Les Bergeronnes

Dans un salon de l’emploi, Mireille passe devant le kiosque de la Haute-Côte-Nord, une région dont nous n’avons jamais entendu parler et qui nous semble aussi éloignée que la Chine. D’ailleurs, même des Québécois tentent de nous dissuader d’aller là : il n’y a rien sauf encore plus de froid et de neige qu’à Montréal. Mais voilà que Mireille prend connaissance d’un emploi chez Explos-Nature et réussit l’entrevue. Je la suis aux Bergeronnes et reste à la maison pour m’occuper des enfants.

Pour briser la routine et m’occuper un peu, je postule pour un remplacement de deux semaines comme concierge de la polyvalente des Berges. Deux semaines qui deviendront finalement quatre années et demie. Puis, le poste d’animateur de vie spirituelle et d’engagement communautaire se libère et mon diplôme en théologie me permet de l’obtenir. Peu de temps après, s’ajoute un volet de soutien en toxicomanie. Je m’implique aussi à l’église et comme pompier volontaire.

Les hivers rigoureux? Figurez-vous que je me suis rendu compte que la chaleur rendait ma santé fragile et me faisait tomber malade à répétition. En fait, je  peux dire que je n’aime pas trop la chaleur!

Je trouve qu’à Bergeronnes, la tranquillité et la nature conviennent tout à fait à mon âme. Mes enfants peuvent jouer dehors librement et sans crainte. Une amie en visite a bien résumé ce que je ressens. À la fin de son séjour, elle m’a dit : maintenant, je comprends que dans un environnement plein de nature comme ici, on peut devenir normal, à la fois apaisé et épanoui.

 

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