Rencontre avec Magali Lavigne

propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay

C'est au camp de concentration d’Auschwitz que mon grand-père paternel est mort  en 1942, après avoir été dénoncé comme résistant français par son entourage. Instituteur, il avait falsifié des papiers afin de protéger des enfants juifs.

Aussi, ce fut le drame lorsque mon père épousa une Allemande. Comment, lui écrivit sa mère, peux-tu oublier comment ton père est mort et nous ramener non seulement une femme, mais un bébé allemand? Le bébé, c’était moi, fille unique née en 1962 d’un couple qui n’a pas tenu deux ans sous la terrible pression sociale.

J’ai vécu mon enfance en Allemagne avec ma mère. L’école finissant à 13 heures, j’avais tous mes après-midi libres. Après le décès de ma mère, je pars rejoindre mon père à Paris. Pour une jeune fille de 11 ans, le passage de la campagne à une ville cosmopolite est brutal. Les journées d’école s’étirent jusqu’à 17 heures. En français, je bute constamment sur les lettres muettes des mots alors qu’en allemand toutes les lettres se prononcent. Les premiers apprentissages sont tenaces et je n’ai jamais cessé de compter en allemand. 

Beaucoup de questions se pressent dans ma tête dont la philosophie en général et les raisons historiques du clivage entre la religion protestante que j’ai connue en Allemagne et le catholicisme des pays latins.

À l’aventure, il y a les trois mois de vacances de mon père enseignant pendant lesquels il devient GO (gentil organisateur) dans les Clubs Med. En l’accompagnant, je développe le goût des voyages.

Depuis la lecture de mes premiers livres, je suis passionnée par les cultures : celtique, autochtone et asiatique. Aussi, à l’université, je choisis l’anthropologie et l’apprentissage du chinois mandarin.

En Thaïlande

Au cours de mes propres vacances universitaires, je deviens moi-même GO au Club Med. À la fin de mes études, on m’offre de travailler à l’implantation d’un village de vacances en Thaïlande. Il me faudra compléter mes connaissances en marketing et communication.

À ma descente de l’avion, les odeurs, les habitations et l’interaction avec les gens me submergent. Il faut dire que les Thaïlandais n’ont pas été colonisés. Ils sont à la hauteur de ce qu’ils prônent : authentiques, sans filtre. Voilà enfin un endroit où je peux être moi-même; je sens que je suis arrivée chez moi.  En plus, comme le bouddhisme et le végétarisme sont très répandus, je suis enfin libérée de l’obligation de consommer de la viande. Je vivrai les sept prochaines années en Asie du Sud-est.

En Chine

Au début des années 1980, le Club Med me confie l’organisation, à partir du palais d’été à Beijing, d’un circuit touristique autour de la Chine. Mon grand rêve chinois est sur le point de se réaliser. Mais, je n’aurais jamais imaginé vivre la ségrégation pratiquée par certains Chinois envers les « diables blancs ». Peu importe si je maîtrise la langue, on me fait payer trois ou quatre fois plus cher que le prix affiché dans les marchés et on me réclame de payer en monnaie pour étranger. On va même une fois jusqu’à crever les pneus de ma bicyclette alors que je suis éloignée de 30 km de la ville.  Si je ne savais pas vraiment ce qu’était le racisme, ces expériences m’auront permis d'apprendre ce que doivent être la tolérance, la reconnaissance de la différence et l’accueil de l’autre. Pour cela, je dis aujourd’hui : merci la vie.

Shiqikong Qiao, le pont à 7 arches de l'île de Nanhu.
Nikolaj Potanin CC BY-SA 2.0 sur Flickr

En cette fin de la révolution culturelle en Chine, les autorités communistes me surveillent constamment. Tous mes déplacements sont contrôlés, jour et nuit. Je n’ai pas le droit de conduire une voiture et mon téléphone est sur table d’écoute.  Pourtant, un jour, prise d’une envie de liberté, j’échappe à la surveillance en abordant en barque l’île de Nanhu sur le lac Kunming pour me réfugier dans un pavillon. C’est la panique chez les employés locaux et les paroles que j’entends du fond de ma cachette me glacent d’effroi devant la perspective d’être arrêtée ou expulsée. Une seule solution : sortir de ma planque et faire la folle en sautillant partout devant eux en chantant n’importe quoi. Perplexes, ils me laissent filer sans conséquence.

Au bout d’un an, déçue et triste, je finis par rentrer en Europe. Malgré la réalité politique, je n’ai jamais perdu de vue la richesse de la culture chinoise, sa sagesse millénaire, la puissance des idéogrammes, la philosophie et les arts internes. J’aurai l’occasion de revenir en Chine plusieurs fois quelques années plus tard pour séjourner plus ou moins clandestinement dans des monastères taoïstes des monts Wudang dans la province du Hubei afin d’apprendre le Qigong et les principes de la médecine traditionnelle chinoise.

Retour en Europe

De retour en Europe, c’est le choc culturel : les gens me croisent en regardant par terre, les embrassades envahissent ma bulle personnelle.

Une galerie d’art retient mes services pour traduire de l’allemand au français de la documentation sur les tableaux primitifs flamands. Je me perfectionne en histoire de l’art et découvre l’expression d’une nouvelle facette des conflits religieux et de l’histoire géopolitique. Deux ans plus tard, mon père décède de mort violente. Seule pour affronter les démarches des enquêteurs et faire tous les arrangements, je ne tarde pas à sombrer dans la dépression.

Au Québec

Sur les conseils d’une amie, je pars au Québec. Dans ce pays nordique, je découvre une terre d’accueil, les autochtones et  un juste équilibre entre l’esprit nordique et la beauté francophone.

Un jour, en abordant la Côte-Nord à bord du traversier de Tadoussac, une impression familière me revient : celle de rentrer chez moi. Je fais mes papiers d’immigration et obtiens à Québec un travail dans le multimédia où j’ai tout à apprendre. Puis je seconde le maire L’Allier pour l’obtention des jeux mondiaux des policiers et des pompiers en 2005. Par la suite, c’est le projet de revitalisation du quartier Saint-Roch, l’instauration d’une coopérative de services basée sur l’économie solidaire et la création d’un programme de formation et de reconnaissance des métiers patrimoniaux du bâtiment. En 2019, la COVID frappe et les sources de financement se tarissent soudainement. Je suis anéantie, je me consacre davantage à l’enseignement du Qigong, aux conférences et à la médecine traditionnelle chinoise afin de conserver mon équilibre.

Les Bergeronnes

Je côtoie Les Bergeronnes depuis près de 30 ans. C'est vite devenu mon havre de ressourcement. J’ai d’ailleurs passé ma lune de miel au gîte de La petite baleine, en plein mois de mars. Au fils de mes séjours, Geneviève Ross – que tous appellent Mamio [1] – m’a transmis son amour des Bergeronnes et de la nature.

Lors d’un de mes séjours, je rencontre Alain Dumais qui entreprend de me redonner confiance après un accident de kayak de rivière et de m’initier au kayak de mer. J’ai même bénéficié d’une sortie  en plein mois d’avril. Il me montre comment m’imprégner de l’environnement, regarder, écouter, sentir, me fondre avec le fleuve. Une fois habituée aux sorties en mer, je deviens, pour une saison, guide interprète à Mer et monde pendant les fins de semaine. Par la suite, je demeure une passionnée fidèle à mes sorties régulières avec lui.

J’apprécie l’ouverture des gens, leur sens de l’accueil. Aussi, lorsque l’occasion s’est présentée de relever un nouveau défi en venant vivre et travailler ici, je n’ai pas hésité.


[1] Selon ce que raconte sa fille Nathalie, les enfants de Geneviève Ross appelaient leur mère « Mamie ». Lorsque leur père ratait un coup à sa table de billard devant ses amis, il avait l’habitude de s’écrier « Oh Mamiiiiio! ». Entendant cela, leur petite fille Stéphanie, alors âgée de 2 ans, s’est mise à appeler sa grand-mère « Mamio » et le nom est resté.

1 commentaire:

  1. - Quel parcours de vie intéressant
    - Tout un parcours de vie ! Très heureuse de vous côtoyer Mme Lavigne
    - Merci de me la faire connaître.
    - Belle histoire et tellement gentille cette dame
    - Wowww
    - Wow quel beau parcours sa doit être intéressant de t écouter au bord d'un feu et d’une bonne consommation.
    - Tu as un parcours de vie vraiment impressionnant!
    - Quel beau parcours ! Tellement intéressant ! À Bergeronnes, vous garderez cette paix intérieure que vous avez. Restez avec nous pour toujours car nous avons besoin d'une personne comme vous!!!

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