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Rencontre avec Lucie Lambert

 propos recueillis et mis en forme par Pierre-Julien Guay

photo gracieuseté de Yves Demers

 
Le paysage de mon enfance à Portneuf-sur-Mer est fait de cabanes dans le bois en arrière de la maison chez nous, du champ où nous allions jouer à la balle-molle tout près et des pique-niques familiaux sur la plage de la Pointe des Fortin.

Autrefois, le grand banc de sable n’était accessible qu’à marée basse. Après avoir pataugé dans la vase, on se gavait de petites fraises des champs et d’airelles. J’étais la plus jeune de quatre enfants, peut-être aussi la plus contemplative, je pouvais passer des heures couchée dans le banc de neige à rêvasser en regardant le ciel.

La rentrée au secondaire dans une école peuplée et tumultueuse m’a durement ébranlée. Heureusement, à mes 14 ans, j’ai eu la chance d’aller voir la vie ailleurs quand ma famille a déménagé à Chicoutimi.

Au cégep là-bas, j’ai complété le programme d’art et lettres. Mon intérêt pour le cinéma s’est développé grâce au ciné-club du cégep. Après une première année en littérature à l’UQAC, je m’installe à Montréal pour compléter ce programme à l’UQAM.

Faire son cinéma

Après divers emplois, je me fais des contacts au sein de la coopérative Main Film à Montréal, ce qui me permet d’apprendre les rudiments du cinéma sur le tas. Plus tard, avec deux compagnons, nous fondons notre propre maison de production en 1991 : Les films du tricycle. J’ai produit, entre autres, le film La nuit, elles dansent, d’Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault. Ce film fut sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en 2011. Mais, nous préférons de loin réaliser nos propres films.

Mes films à moi sont liés au territoire et à l’enfance, à la poésie des lieux et du monde qui y habitent. Avec mon premier vrai film en 1995, j’ai réinvesti les lieux de mon enfance à Portneuf. Paysage sous les paupières est ainsi nommé parce que je me suis rendu compte que les horizons de nos souvenirs, même si on essaie de les recréer, subsistent de toute façon à l’intérieur de nous.

Mes souvenirs les plus précieux sont ceux liés aux vacances avec mes deux enfants lors de nos séjours sur la Côte-Nord. C’est fou, mais il me semble que les enfants grandissent encore plus vite pendant l’été. J’en ai fait un film intitulé Précis du quotidien.

Se tourner vers les autres

Pour moi, la création d’un film est un long processus qui peut s’échelonner sur quatre ans : il y a la recherche, le financement, la réalisation et le montage.

Créer, c’est se lancer dans le vide. En période de recherche, je pars explorer au matin, sans attente particulière. Je reste disponible et aux aguets. L’extraordinaire est toujours au rendez-vous, il arrive nécessairement quelque chose et je découvre des gens et des beautés là où je m’incruste.

Au moment du tournage, il faut que le film soit meilleur que le scénario. Celui-ci ne sert que d’inspiration. Le tournage amène à connaître d’autres gens, d’autres lieux et c’est cela que je veux partager avec mes films.

À un moment, je suis allée sur la Basse-Côte-Nord sans savoir ce que j’allais y trouver. Finalement,  Avant le jour raconte la mer, le bateau et le monde des femmes qui doivent aller accoucher à l’extérieur.

Je suis particulièrement fière de mon « road movie », Le père de Gracile. C’était ma première rencontre avec les Innus et j’avais la chance d’être entourée d’une équipe de spécialistes pour la caméra, le montage et la prise de son. Pour une séquence particulière, nous sommes arrêtés aux 100 milles de la voie ferrée entre Sept-Îles et Schefferville. Quarante caisses de matériel à débarquer et installer : tout cela à cause d’une idée qui m’était venue en tête!

 Mon dernier film s’intitule Le grand châle d’Aamu. Il a été tourné en Finlande avec le peuple sami. Je m’attendais à nouer une relation semblable à celle que j’avais connue avec les Innus, mais la piste de départ s’est transformée en rencontrant les personnages. Le film est malheureusement sorti en plein dans la pandémie et a été très peu diffusé.

Visionnez la bande annonce Le grand châle d‘Aamu

C’est l’aspect le plus décourageant pour moi : l’absence de circuit de distribution de documentaires au Québec, le fait que mes films sont peu vus. Ce contraste entre intensité et fragilité, c’est le même que celui d’un projet d’atelier de danse théâtre avec des personnes âgées sur lequel je travaille actuellement. Le cinéma de divertissement pourrait-il céder quelques fois la place pour faire l’éloge « du fragile et du cabossé », comme le dit Laure Adler dans La voyageuse de nuit ? Pour le moment, j’adopte un côté plus artisanal. Je me suis aussi mise à l’écriture et j’ai complété deux romans de fiction inspirés de mon vécu, en plus d’écrire de la poésie.

Les Bergeronnes

À partir de 1999, j’ai passé de nombreux étés avec mes enfants aux Escoumins, une amorce de retour à la Côte. Je me suis finalement installée aux Bergeronnes en 2016.

Il y a présentement une belle vitalité artistique dans le secteur BEST. Des jeunes choisissent de s’établir, attirés par la nature, la forêt; ils amènent des idées nouvelles, c’est stimulant. Je pense que l’attrait croissant pour les régions vient d’une recherche d’équilibre en réaction à la mondialisation; les gens souhaitent retrouver les vraies valeurs.

Ici, j’ai mon réseau de monde et j’habite un lieu propice à la contemplation et la méditation, que ce soit en me rendant sur les rochers près du fleuve pour observer les baleines ou pour la cueillette de petits fruits. Comme qualité de vie, je ne pourrais pas demander mieux.